Laissons nos cours d’eau évoluer librement !

Liberté : un mot maintes fois utilisé, un droit que nous revendiquons tous et que nous considérons comme faisant partie de notre humanité (la liberté de pensée, le libre-échange, ...). Nous nous accordons beaucoup de libertés au niveau de l'espace que nous occupons, et de l'environnement que nous façonnons pour répondre à nos désirs et besoins sans cesse grandissants.
Mais prenons-nous suffisamment en compte les besoins des êtres vivants muets que sont les animaux, les plantes, les paysages... ? Eux qui n'ont pas le pouvoir de prendre la parole, ni de s'imposer face aux humains.

L'espace de liberté des cours d'eau peut se définir comme suit : espace du lit majeur d'une rivière à l'intérieur duquel le ou les chenaux fluviaux assurent des translations latérales permettant une mobilisation des sédiments ainsi qu'un fonctionnement optimum des écosystèmes aquatiques et terrestres.

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Cette notion appliquée aux rivières est apparue en France en 1990, aux assises nationales de l'eau. Elle a été reprise par le groupe de travail "Protection et gestion des plaines alluviales" de l'Agence de l'Eau Rhône-Méditerranée-Corse (1996).
Elle est également reprise dans la Directive Cadre-Eau qui définit que la qualité hydromorphologique d'un cours d'eau constitue avec la qualité physico-chimique des eaux, le cadre du développement de la vie aquatique.

Variations et alternances

Tous les paramètres qui caractérisent une rivière naturelle varient fortement et rythmiquement tout au long de son cours. Ils désignent tout à la fois la profondeur du lit (alternance de zones profondes et de zones peu profondes), la vitesse du courant, la nature du substrat du fond, la pente du lit... tous ces éléments sont liés les uns aux autres. De même, le cours d'eau laissé à lui-même oscille rythmiquement d'une berge à l'autre, érodant les berges alternativement d'un côté puis de l'autre. Ce mouvement naturel crée, par érosion et dépôt, les méandres caractéristiques des cours d'eau de plaine.
Outre la sinuosité et la périodicité, l'asymétrie du lit mineur se manifeste principalement dans le profil transversal de la rivière. De cette irrégularité générale découlent des variations de la vitesse du courant et une grande diversité de milieux, ce qui permet au cours d'eau d'être un lieu de vie pour une faune et une flore abondante et diversifiée. La capacité d'accueil maximale s'observe pour des profils asymétriques, comportant des zones peu profondes et des bancs de graviers.

Les "sautes d'humeur" (débordements) et divagations

Qu'appelle-t-on le lit majeur d'une rivière ? On reconnaît généralement qu'un cours d'eau est délimité principalement par son lit mineur, c'est-à-dire le lieu où l'eau s'écoule la plupart du temps, lorsque son débit est moyen. Sont également prises en considération les berges et la rive du cours d'eau (ses abords immédiats). Mais si l'on observe un cours d'eau dans le temps, on constate qu'en période de crues, il déborde de son lit mineur et occupe alors le lit majeur que bien souvent on ne considère plus comme faisant partie du cours d'eau. Pourtant, si l'on prend en compte son aspect vivant et "l'écosystème rivière", les zones de débordement en constituent un élément extrêmement important.
L'inondation, hier considérée unilatéralement comme un risque, peut aujourd'hui être perçue également comme un bienfait écologique. Dans certains pays, elle est même considérée comme une bénédiction du ciel, apportant la fertilité à des terres arides (par exemple les crues spectaculaires du Nil, en Egypte).

L'espace de liberté, pour quoi faire ?

La rivière a donc "besoin" d'un espace minimum pour y exprimer sa diversité. Pour pouvoir aussi "évoluer". En effet, par le jeu de l'érosion, les méandres se déplacent, les dépôts élargissent le lit, créant ainsi des îlots, des annexes hydrauliques, des biefs (anciens bras abandonnés par le cours principal) et des zones humides. Une rivière vivante est mobile et son lit variable dans des limites qui dépendent de la nature du terrain et du relief qu'elle parcourt. Les petits ruisseaux en tête de bassin sont en principe reconnus comme ayant très peu d'espace de liberté de part et d'autre du lit majeur. Cet espace augmente lorsqu'on s'éloigne de la source, pour devenir très large lorsqu'il atteint les plaines alluviales des grands fleuves.

Dans l'optique d'une véritable réhabilitation de la qualité des cours d'eau, il devient dès lors clair que cette notion "d'espace de liberté" en est un élément essentiel. Cela signifie aussi qu'il serait utile de changer voire d'éviter certaines pratiques devenues courantes, partout où cela est possible telles que l'assèchement des fonds de vallées pour y construire ou cultiver les terres, la rectification ou le reprofilage de certaines portions de cours d'eau.
En d'autres termes, il nous faut pouvoir accepter de perdre du terrain et laisser libre l'espace nécessaire à la rivière pour préserver son caractère vivant.
Si, dans un premier temps, cette option peut sembler un gaspillage d'espace et d'argent ou une perte pour l'usage humain, à longue échéance, elle permet une réelle économie quant aux lourds travaux qui auront pu être épargnés. De plus, laisser déborder les cours d'eau dans des espaces libres de constructions ou éviter de construire dans les zones inondables, c'est aussi prévenir les inondations dans les zones habitées et les importants coûts sociaux qui en résultent.
Mais tout ce débat relève de la gestion et concerne le domaine législatif et juridique.