Bilan et Perspectives de l'assainissement durable

Tout au long de cette année, le réseau de l’assainissement durable vous a informé et sensibilisé afin d’ouvrir votre esprit à ce concept différent. Voici donc leur dernier billet qui dresse un petit bilan, synthétise leur message, commente les résultats et offre quelques pistes à explorer plus en profondeur.

Assainissement durable, notre réflexion :

Voici différents constats extraits de nos rencontres et échanges sur la thématique :

1.     L'assainissement se voit souvent résumé à des processus d'épuration. Si l'épuration est effectivement un processus d'assainissement, il en existe d'autres qui ont pour objectif de valoriser la matière organique au lieu de tenter de la dégrader. Si, en effet, une partie des boues des stations d'épuration sont valorisées, comme une partie des cendres d'un incinérateur pourraient être valorisées, les boues de la station d'épuration sont un sous-produit, pas un objectif en soit. Dans un centre de co-compostage, l'objectif est de produire un amendement assaini.

2.     La question de l'assainissement des eaux usées est principalement traitée par les services de gestion de l'eau. En cas d'assainissement spécifique (toilette sèche), la fraction compostée est censée relever d'autres services : les services des déchets. Par ailleurs, le monde agricole est rarement impliqué et il ne semble pas exister de coordination transversale.

3.     Le monde agricole doit localement faire face à des pénuries de matières organiques. La qualité des sols en est affectée. Or, les contraintes administratives et financières des plate-formes de compostage semblent peu favorables au développement d'infrastructure à l'échelle locale (dynamiques de centralisation).

4.     La notion d'alternatives à l'épuration gagne de la visibilité dans le public au travers des festivals et de certains médias (émission radio, presse). Cependant, il y a un manque réel d'informations du public et il devient nécessaire d'organiser des formations pour les acteurs du secteur.

5.     L'assainissement durable est le parent pauvre de la gestion de l'eau. Il existe de nombreuses  structures au faible pouvoir de lobbying. Il en résulte une difficulté à faire évoluer le secteur puisqu'il n'existe pas d'organisation dédiée à l'encadrement de l'assainissement durable.

6.     Si la toilette à litière bio-maitrisée (TLB) du Professeur Orszagh semble présente dans beaucoup d'esprits, d'autres options moins contraignantes existent également et gagneraient à être (re)connues. En effet, les quelques projets pilotes dans le domaine manquent de visibilité et semblent sans influence sur les décisions.

7.     Le régime du tout-à-l'égout induit un mélange de pollutions complexe. Il est actuellement difficile d'envisager leur traitement effectif à grande échelle. Il est, toutefois, à relever que le tout-à-la-poubelle a évolué vers des filières spécifiques.

8.     L'usage de toilettes sèches permet de réduire la production d'eaux usées aux seules eaux grises. Les caractéristiques des eaux grises permettent des traitements d'assainissement plus simples et moins coûteux.

9.     Il n'existe pas de définition claire pour l'assainissement durable. Le code de l'eau ne reconnaît pas les notions d'eaux grises et d'eaux noires, ni leurs EqH (équivalents habitants) associés (cette situation empêche le traitement spécifique).

10.  Le cadre légal actuel impose une mesure globale de 5 EqH sans laisser d'espace pour des traitements spécifiques des eaux vannes (=eaux noires) et des eaux grises. Les systèmes séparatifs sont alors surdimensionnés et peuvent présenter un dysfonctionnement dû à la faible charge polluante (des eaux grises).

11.  Dans le cas des eaux usées, la Belgique ne reconnaît pas le pouvoir épurateur du sol. Il en résulte qu'une filière d'assainissement spécifique (par exemple des eaux grises) doit donc prévoir un système de traitement préalable.

12.  Malgré une volonté politique de contrôles, il existe beaucoup d'infractions et d'impunités dans le monde de l'assainissement autonome. Le sujet semble délaissé.

13.  Les organismes de coopération et développement peinent, dans leur programme et sur le terrain, à promouvoir l'assainissement durable puisque celui-ci ne semble pas être pratiqué dans nos régions.

Nous avons un devoir/une valeur d'exemple pour les autres pays.

Réseau de l'Assainissement durable – Qu'avons-nous fait ?

Depuis notre 2ème rencontre les 5-6 décembre 2011 à la Marlagne, nous avons organisé une 3ème rencontre au Polygone de l'eau à Verviers. Et nous avons décidé de formaliser l'idée d'un collectif dédié au développement et à la promotion d'un assainissement plus durable. En mars 2012, les thématiques retenues par notre association de fait étaient au nombre de 5 : Cadre législatif – Grand public – Filières de valorisation des lisiers humains – Agrément d'une filière eaux grises – Éthique et gouvernance.

Il serait fort long de faire l'inventaire des rencontres et l'état de chacune des discussions. En outre, comme il s'agit d'un travail en évolution, il n'y a pas vraiment de conclusion. Néanmoins, nous pouvons faire état des éléments suivants :

Assainissement durable : cadre législatif

Ce groupe de travail avait pour objectif de réaliser un état des lieux et des propositions pour le cadre juridique/réglementaire de la région wallonne. Sur base d'un document martyr, suite à de nombreuses discussions par mails et quelques rencontres, un document finalisé a été soumis à l'administration et au Cabinet du Ministre Henry. Une rencontre avec le comité d'agrément a depuis été évoquée. Un travail de « lobby » reste à faire pour soutenir la bonne mise en place de nos recommandations et argumenter celle-ci face aux autres intérêts. Il a été proposé de faire un travail similaire pour la région bruxelloise.

Assainissement durable : grand public

Ce groupe de travail a pour objectif de sensibiliser et d'accompagner le citoyen dans sa réflexion sur l'assainissement durable. Les deux projets principaux ont été un recensement des utilisateurs (réalisation d'une carte) et une rencontre mi-novembre autour de la journée de la toilette. En parallèle des articles ont été rédigés pour le Contrat de Rivière Dyle-Gette ainsi qu'un dossier pour Nature et Progrès. Nous avons également participé à l'émission Nuwa de la RTBF et répondu à plusieurs interviews de journalistes. Par ailleurs, différentes visites de sites/chantiers ont été réalisées pour envisager le développement de projets-pilotes. Enfin, les rencontres de l'assainissement durable mi-novembre furent un succès. Presque 500 personnes ont été comptabilisées sur les 3 jours avec un pic manifeste pour la soirée du 16 novembre sur la Blue Economy avec Gunter Pauli. Il est appréciable que notre réseau ait pu s'inscrire dans une vision bien plus large encore de société durable. Le travail de sensibilisation doit continuer. Il existe encore trop de pré-jugés, a priori sur ce que sont ou ne sont pas les toilettes à compost. La diversité des systèmes est souvent sous-estimée et l'image simpliste et rebutante du seau malodorant à vidanger fréquemment déforce un secteur qui a bien plus à proposer. Restons positifs cependant ; les consciences se forgent et le sujet devient de moins en moins tabou, nous gardons bon espoir.

Assainissement durable : filières de valorisation des lisiers humains

Ce groupe de travail a pour objectif de contribuer au développement de centres d'imprégnation (plates-formes de co-compostage des lisiers humains avec une litière carbonée) en Wallonie. La faculté de Gembloux nous a proposé d'accompagner le projet d'études et nous sommes à la recherche du meilleur cadre pour financer et par la suite diffuser les résultats de nos travaux (optimisation du processus, bilan environnemental, modèle économique, ...). Les centres d'imprégnation sont une réalité en France et dans d'autres pays. Il est nécessaire de produire des études complémentaires si nous souhaitons permettre une valorisation agronomique des composts produits. Les modalités de recherches sont encore à définir ainsi que la meilleure manière de mettre tout cela en musique. Cependant l'idée gagne en visibilité au travers des rencontres avec différents appels à projets tels le programme Next du Plan Marshal 2.vert, l'appel GreenWin ou ceux de la DGO6 : Recherches collectives, Cwality.

Assainissement durable : agrément d'une filière eaux grises

lavabo   toiletteIncinolet - incinération électrique

Ce groupe de travail a pour objectif de développer une filière agréée de traitement des eaux grises afin de compléter un système d'assainissement autonome où se trouveraient des toilettes sèches. Après notre première rencontre, il a été conclu qu'il était nécessaire qu'une structure soit garante de la bonne mise en place du cahier de charge. S'il venait à faire agréer la filière, le réseau ne pourrait pas prendre la responsabilité de délivrer les plaquettes d'agrément. Nous soutenons donc le changement de cadre : Code de l'eau (eaux noires/grises...). Et ensuite, nous encouragerons les entreprises qui se lancerons dans une procédure d'agrément.

Assainissement durable : éthique et gouvernance

Ce groupe de travail a pour objectif de veiller au bon développement du réseau et de sa stratégie. Il s'agit aussi de structurer le fonctionnement du réseau et de veiller à sa bonne dynamique (partage des informations/décisions...). Pour l'instant, l'organisation est fort centralisée autour d'Olivier Chaput. Il est nécessaire d'acquérir une certaine stabilité financière pour pouvoir investir dans le fonctionnement et des rencontres régulières. La volonté du collectif de formaliser notre association de fait est une première étape dans la structuration et la consolidation de notre travail.

En outre, se sont ajoutées quelques opportunités rencontrées en chemin. Ainsi, il nous parait important de mentionner notre participation aux Etats Généraux de l'Eau à Bruxelles. Il s'agit d'une plate-forme citoyenne mise en place afin de réaliser l'enquête publique sur les plans de gestion des bassins hydrographiques. Nous travaillons aussi à réagir à la même enquête en Wallonie (échéance : janvier 2013).

Nous avons également continué nos travaux de collaboration avec le Réseau (français) d'Assainissement Écologique et faisons partie dorénavant de leur Collège Associatif de Coordination et d'Administration (en gros, leur CA). Notre réseau a été retenu comme une initiative méritant une invitation au sommet mondial de l'économie bleue et nous serons donc à Berlin au printemps 2013.

D'une manière globale, si notre action reste ponctuelle et aux contours un peu flous, nous existons et sommes de plus en plus présents. Nous continuons à développer les alternatives et, en fédérant les acteurs désireux de travailler ensemble au changement, nous avons contribué à ce que la possibilité d'un autre assainissement soit remise dans l'agenda politique.

Un autre assainissement mais encore :

Si je devais résumer, synthétiser notre message, je commencerais par un cadre plus vaste, tel qu'il nous a été donné par l'économie bleue. Nous sommes arrivés à un moment où il parait clair qu'il ne s'agit plus de moins polluer mais de ne plus polluer du tout. Notre société doit s'efforcer de développer une économie sans déchet (Concept de Cradle to Cradle) et encore mieux, travailler à la régénération des écosystèmes. À son niveau, l'assainissement durable tente de mettre en place les systèmes qui permettront d'intégrer les activités de l'homme et plus particulièrement, ses productions de matières actuellement considérées comme déchets. Tout l’enjeu réside dans cette perspective de la matière : un déchet ou une ressource ? L'assainissement durable voit dans les matières organiques (lisiers humains, bio-déchets) issues de nos activités, une ressource précieuse qu'il ne faut plus détruire/épurer mais valoriser. Le retour à la Terre dans les meilleures conditions nous semble un élément clef. L'assainissement développé pour des raisons d'hygiène doit, s'il veut être durable, réduire encore son coût, son impact environnemental et pour cela les grands cycles naturels nous paraissent l'inspiration idéale. Techniquement, cette valorisation nous semble facilitée par la reconnaissance de flux spécifiques que sont les eaux noires (issues des toilettes) et les eaux grises (les autres ; salle de bain, cuisine, ...). Pratiquement, la charge polluante des eaux grises nous parait  digérable par la (micro-biologie du sol. Quant aux eaux noires si leur richesse nutritive est une cause d'eutrophisation dans l'eau, cette même richesse, stabilisée avec une litière carbonée, constitue un amendement de qualité pour les sols agricoles.

La législation se doit d'ouvrir la porte à ces nouvelles perspectives. Et le monde économique s'y adaptera d'autant mieux qu'une réelle taxation de la pollution à la source s'installe. Ainsi, nous regrettons que les coûts de l'assainissement soient récupérés sur base des litres d'eau consommés. Il nous semble préférable de taxer les polluants susceptibles de finir dans nos eaux usées. À la manière de Récupel qui taxe aussi bien l'électroménager qui finira dans un terrain-vague que celui qui retourne au parc à « conteneurs ». Nous pensons que les produits ménagers (savons, détergents, etc) qui sont conçus pour finir à l'eau doivent être taxés pour leur coût d'assainissement.

C'est au travers de la responsabilisation que l'assainissement deviendra durable. Un important travail d'information, de sensibilisation est nécessaire pour qu'à l'avenir nos concitoyens adoptent les gestes qui préservent les ressources et choisissent les produits qui s'inscrivent dans des cycles vertueux.

Nous proposons comme vision :

En symbiose avec l’agriculture, l’assainissement durable restaure les cycles de matières.

Ses objectifs sont, dans le cadre de la gestion des effluents :

• de limiter les impacts négatifs (qu’ils soient sanitaires, environnementaux ou autres) ;

• de consommer peu de ressources (qu’elles soient matérielles, énergétiques ou humaines) ;

• de contribuer à la formation d’un humus de qualité (nécessaire à la bonne vie des sols) ;

Nous sommes bien conscients qu’il est important de prendre en compte les conditions psycho-socio-culturelles des populations et qu’il nous faudra recourir aux richesses de l'ingénierie écologique.

Notre travail de demain :

Notre vision ne fait sens que si elle est déclinée en applications pratiques. Nous diffusons cette perspective et souhaitons la confronter aux autres. À partir de ces constats et réflexions, il nous parait nécessaire de faire quelques propositions :

1.     Il est important d'élargir le champ des possibles en remplaçant dans les textes les obligations d'épuration par celles d'assainissement. L'objectif doit être mis sur les résultats. Pour rappel, Art 3 - directive 271/91 - C.E.

2.     Nous proposons l'introduction dans le code de l'eau des notions d'eaux grises, eaux noires et lixiviats de compost. De même, les caractéristiques d'Equivalent Habitant doivent se décliner selon les caractéristiques de ces différents flux.

3.     Le recours à des traitements spécifiques doit être privilégié. Nous sommes en faveur de la séparation des eaux grises et des eaux noires. Les fractions traitées spécifiquement ne souffrent pas de contamination par les autres flux (hydrocarbures, métaux lourds...). La loi se doit de créer les conditions dans lesquelles l'usage d'une toilette sèche sera plus rentable et moins cher que celui d'un W-C à chasse d'eau (intégration des externalités).

4.     Nous souhaitons vivement le développement de centres d'imprégnation afin de transformer des lisiers humains en fumiers et ultimement en composts (les lisiers humains traités peuvent produire un amendement de qualité).

5.     Des recherches doivent être menées afin d'adapter les stations d'épuration dont la charge polluante vient à diminuer. Il n'est pas souhaitable d'avoir des politiques de maintien de la charge polluante pour le simple bon fonctionnement de l'entreprise qui les traite.

6.     Nous invitons la Belgique à revoir sa position quant au pouvoir épurateur des sols, surtout dans le cas du traitement des eaux grises.

7.     Il nous parait important d'inventorier les projets pilotes existants. Ces nombreuses expériences sont autant d'opportunités d'apprentissage. De plus, l'ensemble de ces sites peut servir de base à des visites thématiques des organismes de coopération. L'assainissement durable émerge dans notre paysage, donnons-lui de la visibilité.

8.     À l'image des colloques interactifs, il nous parait important de maintenir des réflexions transversales et de travailler à de meilleures synergies entre les acteurs de notre société.

9.     Nous souhaitons constituer un réseau de l'assainissement durable. Il existe dorénavant une association de fait qui pourrait bénéficier d'une reconnaissance officielle par le Cabinet du Ministre.

10.  À la coordination de ce réseau, nous proposons de nommer un facilitateur qui pourrait travailler à une meilleure diffusion des informations sur la thématique et mettre sur pied des formations dédiées au secteur. La variété des alternatives existantes pourrait être ainsi mise en avant. Ce facilitateur peut aussi être un agent liant pour les groupes de travail dispersés. Il peut servir de personne-ressource dans le domaine de l'assainissement durable.

La mise en place de filières fonctionnelles est une étape décisive au développement d'un assainissement durable. Des campagnes de dialogue avec les acteurs concernés doivent soutenir notre travail et la diffusion des tests et résultats de nos travaux contribue à interpeller le secteur. Ainsi nous espérons prochainement, en collaboration avec l'administration et l'AFSCA, valider l'hygiénisation des effluents humains par co-compostage. Nous  provoquons la rencontre avec le public et construisons de systèmes « alternatifs » cohérents avec notre argumentaire.

Pour ce faire, le réseau a décidé de se constituer en collectif et de trouver du financement pour développer les plate-formes de co-compostage des effluents humains.

L'émulsion prend de l'ampleur et se cristallise. Nous vous donnons d'ores et déjà rendez-vous dans un an pour la prochaine journée mondiale de la toilette (le 19 novembre), afin de faire le point sur notre 2ème année de travaux.