La réserve naturelle des Tournants ou quand les petits cours d’eau font les grandes rivières

Juillet 2013, sensation dans le monde naturaliste local : une nouvelle réserve naturelle est créée dans le bassin Dyle-Gette, à Lincent ; et cerise sur le gâteau, il s'agit d'une zone humide ! C'est la conclusion heureuse d'un long travail de conciliation et de concertation. Retour en arrière ...

Début 2008, le CRDG réalise un inventaire des zones humides vulnérables dans le bassin Dyle-Gette. François Smet, éco-conseiller à la commune de Lincent, m'emmène alors faire le tour des sites humides intéressants qu'on peut trouver sur sa commune.

En fait, il n'en existe qu'un seul qui soit réellement digne d'intérêt. Situé entre la ligne de RAVeL n°147 (Gembloux-Landen) et le ruisseau de la Bacquelaine, en aval du village de Lincent, le site des Tournants était à cette époque composé d'un long espace boisé alternant de rares faciès humides et d'autres faciès plus secs et plus banals. Une rapide visite de terrain et expertise des habitats a été effectuée. Cette dernière a permis de pointer en effet l'intérêt biologique du site et surtout son potentiel de développement sous réserve d'une gestion adéquate des différents milieux présents.

Ce site présente également une importance stratégique dans le développement du maillage écologique local, toutefois, ne disposant, dans l'absolu, d'aucun statut de protection et donc aucune assurance de pérennité sur le long terme, il reste très fragile et menacé.

Suite à cet inventaire, une première proposition d'action en vue de protéger cette zone humide est donc faite à la Commune de Lincent dans le cadre du Protocole d'Accord 2008-2010 du CRDG. François m'apprend alors qu'il aimerait absolument mener à bien ce projet, qui d'ailleurs lui trottait déjà dans la tête depuis quelque temps mais ne sachant trop comment s'y prendre. Toutefois, dans l'immédiat, il préfère en différer la réalisation en raison de la future pose du collecteur d'eaux usées par l'IBW (intercommunale du Brabant wallon) le long de la Bacquelaine qui devrait générer pas mal de perturbations au droit de ce site. L'arrivée de ce collecteur, couplé à la mise en service de la station d'épuration d'Orp-Le-Grand, devrait normalement solutionner un grand nombre de problèmes dans l'optique d'améliorer la qualité de ce cours d'eau, véritable égout à ciel ouvert. Le projet est donc ajourné, en attente de la fin des travaux ...

Ces travaux d'installation du collecteur de la Bacquelaine ont finalement lieu courant 2010.

Suite à cela, à l'instar des étrennes, la bonne nouvelle arrive dès le début de l'année 2011 : la Commune de Lincent souhaiterait relancer le projet de protection de la zone humide des Tournants ! Dès lors, tout s'active : une nouvelle proposition d'action est faite dans le cadre du Protocole d'Accord 2011-2013 du CRDG, le Comité environnement de Lincent est impliqué dans la démarche et une première visite de terrain pour (re)découvrir les lieux suite aux travaux est organisée dans la foulée.

Au cours de cette visite, un site inédit se dévoile sous nos yeux, assez différent de son état initial, alternant désormais zones boisées et vastes espaces ouverts. Il a en effet fallu, au gré des méandres, faire passer plusieurs fois le collecteur en dessous du cours d'eau et donc déboiser certains secteurs pour permettre le passage des engins. Ce qui nous apparaissait de prime abord comme une petite catastrophe pour ce site se révèle en fait être une véritable aubaine pour la nature car ces trouées, parfois très longues (plus de 200m par endroits), permettent d'ajouter de l'hétérogénéité en termes d'habitats et de micro-habitats à un site qui jusqu'alors était somme toute très homogène et assez peu diversifié. Tout le monde est emballé par cette découverte et souhaite bien sûr que le projet aboutisse le plus vite possible. Ce site, d'une superficie d'un peu plus de 3,1 ha, est en outre composé de 9 parcelles en propriété communale ; opportunité supplémentaire non négligeable pour le projet qui nous intéresse.

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Le CRDG se charge alors de rédiger une première note d'intérêt et de réaliser une cartographie des habitats avec déjà des premières consignes pour d'éventuels entretiens à venir. Il ressort en effet de la visite de terrain et de la note que pour maintenir l'intérêt biologique du site et voire développer son potentiel déjà entraperçu lors des premiers relevés (cf plus haut), il convient de mettre en place au plus vite des travaux d'entretien ou de restauration.

Le rapport fait son petit bonhomme de chemin dans les arcanes communales et aboutit à une première rencontre sur ce sujet entre le CRDG et l'échevin de l'environnement (aujourd'hui bourgmestre), Yves Kinard, en janvier de l'année suivante.

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François Smet, Yves Kinard et Jérémie Guyon


Des représentants du Comité environnement de Lincent et de Natagora sont également présents. La rencontre est très positive et constructive voyant l'échevin très sensible et intéressé par le sujet. Du coup, la Commune s'engage à débloquer un petit montant annuel pour mener des travaux d'entretien sur ce site ! C'est le CRABE qui est choisi pour réaliser ces travaux. Ceux-ci consisteront en une fauche de la végétation et en la coupe d'un certain nombre d'arbres afin de remettre en lumière une petite zone de marais. S'ensuit alors une nouvelle visite de terrain en compagnie de l'agent DNF local (Cécile Colon) qui nous fournit de précieux conseils sur le choix des arbres à abattre et sur leur état de santé.

Cette première série de travaux commence dès le mois de février 2012 ...

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Une nouvelle rencontre sur le terrain en compagnie d'autres membres du Collège de Lincent fait suite aux travaux, indiquant par là-même une réelle volonté communale pour faire officiellement protéger ce site et en confier la gestion à une structure compétente.

Pendant l'été 2012, des contacts, concertations et négociations sont entamés avec l'asbl Natagora, assortis de nouvelles visites de terrain. Un deuxième rapport de description de la situation et de l'intérêt biologique du site, plus complet, est alors rédigé par le CRDG, dont un extrait est repris ci-dessous.

« L'intérêt principal de ce site est lié à sa situation en pleine zone agricole intensive fréquemment perturbée. L'ensemble constitue donc une zone refuge très importante pour la faune et la flore locale ; sa proximité avec le corridor boisé du RAVeL renforce encore cet aspect. Le site se révèle déjà très attractif pour divers passereaux tels notamment la fauvette grisette ou la fauvette à tête noire ; des lièvres, renards et chevreuils y sont également régulièrement rencontrés. Toutefois, du fait de sa localisation, il pourrait également accueillir bruant jaune, rousserolle verderolle, moineau friquet ou encore bruant des roseaux (déjà contacté sur place en passage). Si des mares étaient creusées au niveau des zones ouvertes, le site se révélerait particulièrement attractif pour les batraciens certes mais également pour les libellules et les limicoles de passage. Au moins 10 espèces de papillons ont déjà été observées sur la zone, y compris aux abords du RAVeL (citron, vulcain, carte géographique, piérides, tristan, myrtil, tircis, robert-le-diable, paon du jour, hespérie du dactyle, ...). »

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Une énième rencontre est finalement organisée entre les responsables communaux, le Comité environnement, le CRDG et Natagora au cours de laquelle une offre concrète de proposition de services est faite par ces derniers. Cette proposition prend la forme d'un contrat de bail emphytéotique sur 30 ans ; 1 euro symbolique sera versé chaque année. Sous ces conditions, et selon le souhait des différentes parties, Natagora s'engage « à tout mettre en œuvre pour assurer le maintien de la valeur biologique des biens et une gestion appropriée au développement de leurs richesses naturelles ».

Finalement, la signature officielle du bail emphytéotique liant la Commune de Lincent et Natagora aura lieu le 03 juillet 2013.

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Emmanuel Serusiaux (Natagora) et Yves Kinard (Commune de Lincent)


Le projet de mise sous statut de protection de cette zone humide se sera donc étalé sur 5 longues années ... mais le jeu en valait clairement la chandelle. De manière générale, les milieux humides font partie des milieux naturels les plus menacés, notamment en contexte agricole. Parvenir à en protéger une, aussi minime soit-elle, est une victoire importante, encore plus en Hesbaye !

Malheureusement, des points noirs subsistent localement et non des moindres. Je vous parlais plus haut de la probable amélioration du cours d'eau suite à la pose du collecteur, eh bien il n'en est rien ... enfin si, mais dans sa partie aval sur Orp-Jauche uniquement ! En effet, l'égout collectif de Lincent n'a pas (encore) été raccordé car des eaux claires parasites s'infiltrent malheureusement dans ce conduit, ma foi trop vétuste. Il faudrait le remplacer, mais la Commune n'en a actuellement pas les moyens et toutes aides régionales semblent à chaque fois refusées. La Commune et l'AIDE (association intercommunale pour le démergement et l'épuration des communes de la Province de Liège) devraient néanmoins procéder prochainement à une analyse des eaux sortant de cet égout afin d'en estimer la part relative des eaux claires et des eaux usées et ainsi décider si, malgré cette infiltration, il est envisageable ou non finalement de raccorder cet égout au collecteur.

Pour le reste, place maintenant au développement de la nature ! C'est à cette fin qu'a été mis en place un Comité de Gestion spécifique pour la réserve naturelle des Tournants, combinant à la fois des bénévoles du Comité local environnement de Lincent et des bénévoles de la Régionale Natagora Hesbaye Médiane, active dans la zone.


Mais plus que de grandes descriptions théoriques, venez sur place visitez ce site prestigieux en prenant contact avec le conservateur François Smet (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).

Bien sûr 3 ha ce n'est pas grand-chose me dira-t-on ; mais c'est tout d'abord 3 ha en Hesbaye, ensuite des possibilités d'extension existent, qui se concrétiseront je l'espère dans un futur proche et enfin, ces 3 ha viennent s'ajouter aux quelques 18.000 ha de réserves naturelles que compte déjà la Wallonie.

Une petite pierre à l'édifice certes mais une énorme plus-value pour la nature en Dyle-Gette !

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